[Comme un écho] Le train, ce phallus cinématographique


La fusée avait déjà était l’objet d’un usage cinématographique aussi imagé que sexuel (1). Mais le train, à la différence de la fusée, a décliné une gamme plus élargie de métaphores sexuelles. Trois exemples : en 1959 ; 1973 et 1995.

En 1959, la scène finale de La Mort aux trousses (North by Northwest d’Alfred Hitchcock) se déroule dans un train, Roger Thornhill (Cary Grant) hisse jusqu’à sa couchette Eve Kendall (Eva Marie Saint) et l’ultime image montre le train entrant à toute vitesse dans un tunnel. Cette représentation du phallus pénétrant le vagin intervient comme la conclusion du film dans la plus pure tradition de ces œuvres classiques où héros et héroïne finissent par coucher ensemble, but ultime de leur relation sur écran. La symbolique du train et du tunnel permettait en outre à Alfred Hitchcock d’éviter la très convenable promesse de mariage qu’aurait due échanger le couple vedette et de contourner le code d’autocensure en vigueur à Hollywood (le fameux code Hays) qui interdisait de représenter une scène de sexe explicite. Le langage métaphorique est d’ailleurs le propre de la période du code Hays, quand les réalisateurs se voyaient dans l’obligation de « frôler le plus près possible la notion brûlante de cul tout en restant dans la fraîcheur de l’innocence » (2).

En 1973, en revanche, le train et le tunnel sont sollicités non pour figurer la pénétration, mais le retrait dans L’hystérique aux cheveux d’or de Brunello Rondi. Ce titre est celui de la version française comportant des inserts hard, mais le titre original du film est Ingrid sulla strada. Après avoir été violée par son père, Ingrid (Janet Ågren) voyage de la Finlande jusqu’à Rome en train où elle commence sa carrière de prostituée. Elle enlève sa culotte, « je la remettrai jamais plus » et, pour gagner de l’argent, couche à la va-vite avec un inconnu dans les toilettes du train, puis avec un second inconnu dans un compartiment. À la suite de l’éjaculation de chaque client, un plan montre un train sortant du tunnel, version post-coït de La mort aux trousses.

Il faut attendre 1995, pour voir une troisième mobilisation sexuelle de l’image ferroviaire. Dans GoldenEye (de Martin Campbell), James Bond (Pierce Brosnan) fait face, avec un tank russe au (long) canon, à un train blindé dans lequel ont pris place les méchants, Alec Trevelyan alias Janus (Sean Bean) et surtout sa tueuse masochiste, Xenia Zirgavna Onatopp (Famke Janssen). James Bond arrête son char juste à la sortie du tunnel comme pour rappeler les métaphores féminines des années 1959 et 1973. Il tire un obus en vain contre le train, Alex ordonne de foncer sur lui et Xenia se délecte par avance du choc. Le train percute le char et s’immobilise enfin, métaphore du « concours de bites » dans lequel s’affrontent Bond et Trevelyan pendant toute la durée du film.

Dans les années 1990, la Société nationale des chemins de fer (SNCF) s’est sentie obligée d’adopter un nouveau slogan prouvant sa bonne volonté. Il faut dire qu’entre la mise en service chaotique et contestée du « Système offrant à la clientèle des réservations d’affaires et de tourisme en Europe » (Socrate) en 1993 qui, pour la première fois, introduisait le calcul des prix en fonction de la demande et les grandes grèves de 1995 contre la énième réforme des retraites et de la Sécurité sociale, la SNCF devait redorer son image. Ce fut : « À nous de vous faire préférer le train ». Le cinéma avait donc déjà planché sur la question.

Joe Gillis

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1. Joe Gillis, « De l’usage narratif de la fusée », cinethinktank.wordpress.com, 15 mai 2014.

2. Norman Mailer, Marilyn, Stock, 1974.

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Un commentaire pour [Comme un écho] Le train, ce phallus cinématographique

  1. RédacBis dit :

    En 1986, le film publicitaire pour Dunlopillo a été interdit, il finissait par un petit train entrant dans un tunnel!

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